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Le blog de Julien Salingue - Docteur en Science politique

À la recherche de la Palestine

"La Palestine à l'ONU: pour quoi faire ?" (Interview au journal tunisien Essada).

Propos recueillis le 10 septembre 2011

 

Quelle serait l’importance juridique et politique d’une déclaration unilatérale d'un État palestinien indépendant et de son entrée à l'ONU ?

 

Les partisans de la démarche de la direction de l’Autorité palestinienne (AP) expliquent que la reconnaissance de l’Etat palestinien changerait la nature même du conflit avec Israël. En étant doté d’un Etat internationalement reconnu, les Palestiniens ne seraient plus seulement un peuple opprimé face à un Etat oppresseur. Tel est le sens des propos de Mahmoud Abbas dans une tribune publiée dans le New York Times le 16 mai dernier : « La Palestine négociera en tant que membre des Nations Unies dont le territoire est militairement occupé par un autre membre, et non en tant que peuple vaincu et prêt à accepter tout ce qui nous sera soumis ».  

 

Encore faudrait-il que la Palestine soit membre des Nations Unies. Ce qui ne sera pas le cas : les Etats-Unis ont d’ores et déjà annoncé qu’il opposeraient leur veto à l’admission de l’Etat de Palestine à l’ONU. Au mieux, cet Etat sera un « Etat non-membre », au même titre que le Vatican. Et quand bien même les Etats-Unis n’auraient pas opposé leur veto, on peut être sceptique quant à l’optimisme affiché d’Abbas et de ses proches : le Liban, membre de l’ONU, a été occupé par Israël pendant plus de 20 ans ; la Syrie, membre de l’ONU, est sous occupation israélienne (dans le Golan) depuis plus de 40 ans. Israël a-t-il été contraint, par l’ONU, de se retirer ? Non. Les argumentations juridiques n’ont guère de valeur si elles sont pensées indépendamment des rapports de forces politiques.


 

Pourquoi, selon vous, Israël refuse cet acte palestinien et est en train d’essayer de mobiliser la communauté internationale, en premier lieu les Etats-Unis ?


La réponse à cette question est double.

 

En premier lieu, une affaire de symbole. Israël ne veut en aucun cas d’un vote aux Nations Unies, qui illustrerait de manière flagrante l’isolement de l’Etat d’Israël. Il est en effet probable qu’environ 140 Etats reconnaissent l’Etat de Palestine, et qu’une vingtaine ne le reconnaissent pas. Mais ne nous ne trompons pas : ce n’est pas ce vote qui créera l’isolement. Il enregistrera une évolution à l’œuvre depuis plusieurs années, notamment avec les bombardement sur Gaza en 2008-2009 et l’assaut contre la Flottille en 2010, auxquels se sont ajoutés les effets des bouleversements qui traversent le monde arabe.

 

En second lieu, il est essentiel de comprendre que la direction israélienne ne veut tout simplement « rien lâcher ». Pour Netanyahu et les siens, il n’est en réalité pas question d’entendre parler d’un Etat palestinien, aussi symbolique soit-il. Israël se contente largement du statut quo, qui lui permet de poursuivre sa politique de fait accompli. Ce gouvernement refuse de démanteler un seul logement dans les principales colonies de Cisjordanie. Il est donc exclu, pour lui, d’entendre parler d’un Etat palestinien, même virtuel.

 

Notons enfin que certains, du côté israélien, se réjouissent, plus ou moins ouvertement, de la démarche palestinienne. Avigdor Lieberman, le Ministre des Affaires Etrangères, qualifie la requête auprès de l’ONU de « démarche unilatérale », et entend s’en servir comme prétexte pour imposer des décisions unilatérales israéliennes, notamment l’annexion des blocs de colonies. 


 

Pensez-vous que l’ONU va reconnaitre la Palestine comme un Etat indépendant ? Comment analysez-vous les positions des Etats-Unis et de l’Union Européenne ? 

 

Une forte majorité des Etats-membres reconnaitra l’Etat palestinien – dont on ne sait pas encore ce que seront les contours et les prérogatives – signifiant leur volonté d’une « solution à deux Etats », mais sans s’engager plus loin qu’un simple vote. Les Etats-Unis s’opposent à la démarche palestinienne, même si cela les place dans une position inconfortable au Moyen-Orient et dans le monde arabe en général. Israël reste en effet leur principal allié dans la région, et ils ne sont pas prêts à le « lâcher », mais dans le même temps les évolutions actuelles les conduisent à réévaluer leur politique. Les récents événements en Egypte indiquent en effet clairement que le soutien inconditionnel à Israël va être de plus en plus contesté.

 

C’est pour cette raison que les Etats-Unis ont insisté pour que les Palestiniens n’aillent pas au bout de leur démarche, afin de s’épargner un veto qui pourrait écorner encore un peu plus leur image.

 

Quant à l’Europe elle sera divisée, démontrant une fois de plus que les intérêts économiques et diplomatiques de chacun des Etats-membres priment sur une éventuelle « politique étrangère commune ».

 


Quelles sont les conséquences économiques et politiques d’une reconnaissance internationale de l’Etat Palestinien sur la sécurité et les intérêts israéliens ?

 

Il n’y en a à peu près aucune. Comme je l’ai dit plus haut, la reconnaissance de l’Etat palestinien va davantage révéler une situation déjà existante qu’en créer une nouvelle. Certains juristes de l’OLP soulignent que la Palestine, même en tant qu’Etat non-membre, pourrait saisir la Cour Pénale Internationale pour poursuivre les dirigeants et l’état-major israélien. C’est en effet le cas. Mais lorsque l’on sait, par exemple, qu’Abbas, sous pression des Etats-Unis et d’Israël, a demandé le report de l’examen du rapport Goldstone par le Conseil de Sécurité en octobre 2009, on ne peut qu’être, à nouveau, sceptique.

 

 

En contrepartie, quels sont les avantages d’une telle reconnaissance pour les Palestiniens ?


Je n’en vois pas. A part pour la direction de l’AP, qui utilise en réalité sa « dernière cartouche » pour ressusciter le projet auquel elle est identifiée et qui lui assure sa survie économique et politique depuis plusieurs décennies.

 

 

Au cas où l’ONU s’oppose à la déclaration d’un Etat Palestinien, comment percevez-vous le futur du conflit israélo-palestinien et les choix à venir de l’Autorité palestinienne ?


Saeb Erekat, négociateur palestinien, déclarait récemment : « Si les États-Unis opposent leur veto à l’admission de la Palestine aux Nations Unies, alors à mon avis l’Autorité Palestinienne doit cesser d’exister ». Un ultimatum ? Plutôt un aveu d’échec : un veto des États-Unis sera interprété par la population palestinienne comme l’échec de la stratégie suivie depuis trois décennies ; tandis qu’une réévaluation à la baisse des exigences sera perçue comme une énième reculade de la direction palestinienne, qui n’aura alors plus aucune perspective crédible, pas même la promesse d’un État, à offrir aux Palestiniens.

 

Côté palestinien, un débat et une refondation stratégique s’en suivront, qui tireront le bilan des "années Oslo" et qui seront nécessairement influencés par les actuels bouleversements régionaux : une démocratisation du monde arabe pourrait en effet conduire à une résorption du fossé entre la solidarité populaire avec les Palestiniens et l’hostilité historique des dictatures à leur égard, modifiant les rapports de forces et permettant de sortir du cadre étroit des solutions envisagées depuis une trentaine d’années.

 

 

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